Construits dans la colonisation, l’Argentine et le Chili ont paradoxalement été à l’origine de la libération d’une grande partie de l’Amérique latine. Grâce au combat de certains de leurs grands hommes et à leur rayonnement intellectuel.

Place San Martin à Buenos Aires

Quelques personnalités célèbres

Vous verrez un peu partout au Chili et en Argentine, des places, des rues, voire des sites naturels portant le nom de deux personnages célèbres emblématiques aux deux pays.

José de San Martín

José de San Martín est né le 25 février 1778 à Yapeyú, au bord du Río Uruguay, dans la province actuelle de Corrientes qui faisait partie de la vice-royauté du Río de la Plata. Il se rend en Espagne avec ses parents en 1786, où il entre au Séminaire des Nobles de Madrid. En 1797, il obtient le grade de sous lieutenant en récompense de ses actions face aux Français dans les Pyrénées.

En 1808, les troupes de Napoléon envahissent la Péninsule et le Roi Ferdinand VII est fait prisonnier. C’est alors qu’éclate la rébellion du peuple espagnol contre l’Empereur et son frère Joseph Bonaparte, qui venait d’être proclamé Roi d’Espagne. Remarqué par ses faits d’armes contre les Français, il accède au grade de capitaine du régiment de Bourbon. L’armée attaque les troupes françaises et les bat au cours de la bataille de Baylen, le 19 juillet 1808. San Martin s’y distingue. Il fait connaissance de Lord Macduff, un noble écossais, qui l’introduit auprès des loges secrètes qui complotaient pour l’indépendance de l’Amérique du Sud.

Il fut nommé commandant en chef de l’Armée des Andes et le 12 janvier 1817 débuta depuis Mendoza la traversée des Andes en direction du Chili. Le 14 février, le cabilde de Santiago composé des notables locaux voisins le nomma Directeur Suprême du Chili. San Martín sachant que l’acceptation de cette charge l’empêcherait de participer à la libération du Pérou refusa cette charge. Ainsi, deux jours plus tard le cabilde de Santiago nomma Bernardo O’Higgins Directeur Suprême.

En mars, San Martín retourna à Buenos Aires pour solliciter l’aide du Directoire pour continuer son expédition libératrice du Pérou. Le gouvernement de Buenos Aires lui promit en principe de collaborer, mais étant donné la situation chaotique et de guerre civile qu’affrontait Buenos Aires avec les provinces, il se vit plus tard dans l’impossibilité de tenir parole. Ainsi ce sera le Chili qui assumera tous les frais de l’entreprise et donnera à San Martín mandat pour la mener à bien, avec le grade de Capitaine Général de l’Armée du Chili.

À son arrivée à Buenos Aires on l’accusa d’être devenu un conspirateur. Le 10 février 1824, il s’embarqua pour Le Havre, en France. Il avait 45 ans et était Généralissime du Pérou, Capitaine Général de la République du Chili et Général des Provinces Unies du Río de la Plata. Après une brève période à Londres, ils s’installèrent à Bruxelles et peu après à Paris.

Durant ses années d’exil, San Martín garda le contact avec ses amis de Buenos Aires. À la nouvelle, en 1827, de la guerre que l’Argentine menait contre le Brésil, il proposa de rentrer pour participer à la lutte, mais jamais on ne l’appela.

En 1828, il tenta de revenir à Buenos Aires, mais ne parvint pas à débarquer. Pendant trois mois, il resta à Montevideo. En 1831, il s’installa en France dans une propriété de campagne près de Paris. Trois années plus tard il déménagea pour une maison à Évry dans le quartier de Grand-Bourg, où il résida jusqu’en 1848. Finalement, en mars il partit pour Boulogne-sur-Mer, où il décéda le 17 août 1850.

Bernardo O’Higgins Riquelme

Bernardo O’Higgins Riquelme (20 août 1778 – 24 octobre 1842) était un officier militaire chilien. Il est considéré comme l’un des Pères de la Patrie Chilienne car il fut l’une des figures militaires fondamentales de l’indépendance et le premier chef d’état du Chili indépendant. Il dirigea le pays sous le titre de Commandeur Suprême entre 1817 et 1823, date à laquelle il se retira volontairement de la présidence afin d’éviter une guerre civile. À la suite de sa démission, il s’exila au Pérou, où il resta jusqu’à sa mort en 1842. Son nom d’origine, Ó Huiggín en gaélique, fut changé en O’Higgins par les anglais car ils n’arrivaient pas à le prononcer…

Quelques aventuriers du bout du monde

Fernand de Magellan

C’est le 21 octobre 1520 que le navigateur portugais Fernand de Magellan découvrit le passage qui devait permettre à son escadre d’accomplir le 1er tour du monde. Remarquant des fumées s’élevant du rivage, Magellan crut à une activité volcanique. C’étaient sans doute des foyers allumés par les Indiens. L’endroit fut baptisé Terre des Fumées puis Terre de Feu.

En 1860, Antoine de Tounens, avoué originaire de Périgueux, débarque en Araucanie (dans le centre du Chili actuel), où il est rapidement porté en triomphe par les Indiens, qui voient en lui le sauveur qui les libérera des exactions chiliennes.

Le 20 novembre 1860, il est proclamé roi d’Araucanie et de Patagonie : deux ans plus tard, il est expulsé et rapatrié en France. Là-bas, il continue son combat en lançant une souscription qui ne rencontre que les moqueries de la presse. Ayant néanmoins tenté à plusieurs reprises de regagner son royaume, il sera expulsé à chaque fois par les autorités chiliennes ou argentines et mourra à Tourtoirac, en Dordogne, en 1878. En 1881, la Patagonie sera officiellement partagée entre l’Argentine et le Chili, mais les frontières entre les deux pays ne seront définitivement fixées qu’en 1902, à la suite d’un arbitrage rendu par le roi d’Angleterre, Édouard VII.

La Patagonie suscita beaucoup d’intérêt pour de nombreux aventuriers qui formèrent des expéditions. A travers votre voyage, en Patagonie surtout, vous croiserez des sites naturels en rapport avec des grands aventuriers. Fernand de Magellan, né à Sabrosa près de Vila Real (Portugal), printemps 1480 – mort sur l’île de Mactan (Philippines), 27 avril 1521, était un navigateur et explorateur portugais. Au XVe siècle, le fait que la Terre était ronde n’était certainement pas de notoriété publique. Mais nombre de cartographes en étaient informés. Bien que Christophe Colomb avant Magellan pût l’affirmer ou du moins s’approcher de cette vérité, le doute existait toujours. À cette époque également, l’Europe avait développé un goût pour les épices, peu communes dans la région, ce qui a développé l’intérêt de certains géographes, explorateurs et commerçants.

Fernand de Magellan devint le premier Européen à naviguer le détroit en 1520. Comme Magellan entra dans le détroit un 1er novembre, il a d’abord été appelé le Détroit de la Toussaint. Le Chili a pris possession du détroit le 21 septembre 1843 et en a toujours la souveraineté aujourd’hui. Le détroit est le plus grand et le plus important passage naturel entre les océans Atlantique et Pacifique.

Robert Fitz Roy

Robert Fitz Roy (5 juillet 1805 – 30 avril 1865) est connu comme le capitaine du célèbre HMS Beagle chargé de missions hydrographiques et cartographiques en Terre de Feu. En 1839, il publia simultanément avec « Le Voyage du Beagle de Charles Darwin » son propre récit « Narrative of the Voyage of the HMS Beagle ». Un navire de la Royal Navy de la classe Cherokee, fut lancé le 11 mai 1820 et prit part à trois missions hydrographiques.

Il fut célèbre pour avoir eu à son bord le naturaliste Charles Darwin, lors de la seconde mission du navire, de 1831 à 1836, dont le récit est raconté dans le livre de Darwin, « Le Voyage du Beagle », publié en 1839. Darwin y établit les bases de sa « théorie de l’évolution ». Son voyage de cinq ans à bord du Beagle l’établit dans un premier temps comme un géologue dont les observations et les théories soutenaient les théories de Charles Lyell, et la publication de son journal de voyage le rendit célèbre comme auteur populaire. Intrigué par la distribution géographique de la faune sauvage et des fossiles qu’il avait recueillis au cours de son voyage, il étudia la transformation des espèces et en conçut sa théorie sur la sélection naturelle en 1838.

Francisco Pascacio Moreno

Francisco Pascacio Moreno (31 mai 1852 – 22 novembre 1919) est un naturaliste et explorateur Argentin. Il est plus connu sous l’appellation de Perito Moreno (l’expert Moreno). Il est né et mort à Buenos Aires. En 1872, Il fonde la « Sociedad Científica Argentina » et entreprend une série d’expéditions, dans des territoires encore inexplorés, qui l’ont rendu célèbre. En 1872-73 il explore le territoire du Río Negro et, en 1875-1876 parvient au lac Nahuel Huapi dans les Andes du sud, puis atteint le lac qu’il baptise Lac Argentino. Il poursuit ses explorations de la Patagonie et découvre le Lac San Martin le 14 février 1877. Il explore également de nombreux fleuves et rivières de Patagonie ; le 4 mars de la même année, il découvre le Cerro Chaltén, qu’il nomme Mont Fitz Roy en hommage au commandant du HMS Beagle.

Pendant ses voyages, il entreprend de réaliser un de ses grands désirs : se mettre en rapport avec les nations indigènes de Patagonie, et étudier leurs origines et leur passé. Terriblement impressionné par les conditions de vie de ces populations, Moreno essaye alors d’humaniser les relations entre les Argentins et ces indigènes en exigeant que le gouvernement leur attribue des terres et des écoles, et en protestant contre les méthodes employées jusque là pour « les civiliser ».

Il s’est également rendu célèbre pour son rôle dans la défense des intérêts argentins lors de la détermination de la frontière entre le Chili et l’Argentine. Le traité de 1881 établissait la frontière selon la ligne de partage des eaux ; aussi sa délimitation effective était assez arbitraire. En tant qu’expert argentin (en espagnol, Perito) pour ce conflit, en peu de mois Moreno précise le tracés de la frontière et présente une synthèse de ses études géographiques. En 1896 il se rend en voyage à Londres pour réclamer l’arbitrage de la reine Victoria.

En 1902, il reçoit la Médaille du Roi Jorge IV, ainsi que des territoires en Patagonie, en hommage de la nation. En 1903, il fait don d’une partie de ces territoires pour créer le Parc National Nahuel Huapi, premier parc national d’Argentine. Ses restes sont transférés sur l’île Centinela, sur le Lac Nahuel Huapi, en 1944. Un glacier, un parc national et une localité portent son nom, tous trois situés en Patagonie.

Des humanistes Argentins et Chiliens

Eva Perón

La personnalité féminine argentine la plus célèbre de par le monde est incontestablement Evita Perón. Elle rencontre le colonel Juan Perón lors d’une vente de charité organisée afin de récolter des fonds pour les victimes du tremblement de terre qui avait secoué la région de San Juan. Après avoir été pendant un temps sa maîtresse, elle l’épouse le 21 octobre 1945.

Ses racines humbles l’ont tout naturellement destinée à assurer la liaison entre son mari et les travailleurs, ceux qu’elle appelle les sans-chemises (descamisados), fondement du soutien politique à son mari. Elle a fortement contribué à la campagne de son mari pour l’élection présidentielle de 1946. Utilisant son émission de radio hebdomadaire, elle se lance dans de grands discours appelant les pauvres à se relever. Elle met en avant ses racines modestes afin de montrer sa solidarité avec les classes les plus défavorisées.

Après l’élection de son mari, Evita prit immédiatement un rôle considérable dans son entourage. Elle crée la Fondation Eva Perón dont le rôle est d’assister les pauvres. Eva Perón a été emportée par un cancer de l’utérus à l’âge de 33 ans. Son corps a été embaumé et exposé jusqu’à ce qu’un coup d’État militaire ne chasse son mari du pouvoir en 1955. Son corps a alors été transporté à Milan, Italie, puis enterré sous la fausse identité de Maria Maggi de Magestris. Seize ans plus tard, en 1971, son cadavre a été exhumé et envoyé en Espagne. Son mari, retournant en Argentine comme président après son exil, y meurt en 1974. Le corps d’Evita est alors rapatrié en Argentine, brièvement exposé au public. Elle a été une nouvelle fois enterrée dans la tombe familiale du cimetière de la Recoleta de Buenos Aires.

Manuel Belgrano

Durant votre voyage en Argentine, je ne pense pas que vous aurez l’occasion de connaître la troisième ville du pays : Rosario. Touristiquement elle n’est pas de grand intérêt mais elle fut le lieu ou tout à commencer pour un des emblèmes de la nation et pour un personnage mondialement connu.

Le drapeau de l’Argentine, est constitué de deux bandes bleues ciel horizontales séparées par une bande blanche. En son centre est placé un emblème représentant le soleil, doré. D’après la tradition, il a été créé en 1812 par l’intellectuel, devenu général, Manuel Belgrano (il fut un des principaux leaders de la guerre d’Indépendance) quand il regarda le soleil devant les côtes du Paraná, depuis la ville de Rosario.

Plusieurs peuples latino-américains se sont inspirés du drapeau argentin dans le choix de leur propre drapeau. Il fut en son temps adopté par les Provinces unies d’Amérique centrale, et c’est pour cela que les drapeaux du Salvador, du Honduras et du Nicaragua sont très semblables au drapeau argentin, tout comme celui du Guatemala.

El Che Guevara

Ernesto Rafael Guevara de la Serna, plus connu sous le nom de Che Guevara ou Le Che, né le 14 juin 1928 à Rosario et exécuté le 9 octobre 1967 à La Higuera (Bolivie), est un révolutionnaire marxiste et homme politique d’Amérique latine. Alors qu’il est jeune étudiant en médecine, Guevara voyage à travers l’Amérique latine, ce qui le met en contact direct avec la pauvreté, dans laquelle beaucoup de gens vivent alors. Son expérience et ses observations pendant ces voyages l’amènent à la conclusion que les inégalités socio-économiques ne peuvent être changées que par la révolution.

Même si le nom et la vie du Che sont associés à la petite île de Cuba, il est important de savoir que le Che était Argentin. Son grand projet « caché » était de diffuser la révolution dans toute l’Amérique du Sud et l’on peut supposer qu’il se serait chargé personnellement de conduire le mouvement en Argentine depuis la Bolivie. Le destin, et bien trop souvent, les intérêts de certains, en ont décidé autrement. Il existe de nombreux libres écrits à son sujet, le plus émouvant à mes yeux est de loin « les survivants du Che » d’Ariel Alarcon Ramirez, dit « benigno » qui retrace les derniers instants de sa vie et l’échappée de ses compagnons de lutte en Bolivie.

Je citerai Régis Debray qui disait : « Le Che nous rappelle que le dur désir de durer n’est pas l’alpha et l’oméga de l’histoire, et qu’il peut, qu’il doit y avoir aussi, chez quelques-uns, le dur désir de rester pur. Nous en avons bien besoin, de ces exemples, pour affronter nous-mêmes la durée, dans le moins mauvais état possible ».

Salvador Allende

Issu de la bourgeoisie chilienne, Salvador Allende fonde le parti socialiste chilien en 1933 à l’âge de 25 ans. Sa carrière politique connaît une ascension fulgurante : Élu à la chambre basse du Congrès à 29 ans, Ministre de la Santé à 31 ans (il inventa la sécurité sociale pour les ouvriers) sénateur à 37 ans, fonction qu’il occupera pendant un quart de siècle.

Malgré ces francs succès, Salvador Allende n’arrive à la tête de l’Exécutif chilien qu’en 1970. Pour la première fois, un socialiste accède par les urnes à la tête d’un pays d’Amérique latine. Allende n’a rien d’un tribun révolutionnaire friand de rhétorique. C’est un homme politique forgé dans les luttes quotidiennes. Il vise à conquérir des espaces pour une politique populaire, au sein d’un système démocratique représentatif dans lequel les politiques d’alliance favorisant la gauche sont réalisables. Mais jamais il n’abandonne la critique du capitalisme et le désir de socialisme.

C’est la grande différence entre ses positions et celles de l’actuel Parti socialiste chilien, membre de la Concertation démocratique au pouvoir depuis la fin de la dictature. Pour Allende, être réaliste ne signifie pas nier l’avenir en se contentant d’une politique « pragmatique ». Il n’a pas pu terminer son mandat présidentiel, qui devait durer jusqu’en 1976. En effet, le coup d’État du 11 septembre 1973 renverse son gouvernement et met en place le régime militaire. Il se suicide durant les bombardements aériens faits au palais de la Moneda.

Quelques artistes et personnalités

Victor Jara

Victor Jara (1932-1973) – Le courage et la grâce. De tous les artistes chiliens, Victor Jara, est sans aucun doute l’un de mes préférés, voire mon préféré. Et il faut bien avouer que d’écouter ses musiques, avec ses mots et sa voix, donne des frissons quand on sait comment Victor Jara est mort… Pour ceux qui ne le savent pas, je vous laisse découvrir… :

Militant du parti communiste chilien, membre du Comité central des jeunesses communistes du Chili jusqu’à son assassinat, Jara a, au travers de ses textes, cherché à faire partager son idéal de justice et sa volonté de reconstruire une société plus égalitaire et plus juste. Les paroles de Jara sont souvent très engagées et très politiques. Ce sont des chansons de luttes dans lesquelles il s’adresse directement au peuple Chilien ou Sud Américain, à cette cohorte de paysans, ouvriers, travailleurs et révolutionnaires. Il devient le porte-parole des plus démunis, de ceux à qui la parole est confisquée.

Le 11 septembre 1973, date du coup d’État intenté contre Allende, Jara se rend à « la Universidad Técnica del Estado », son lieu de travail, rejoindre d’autres professeurs et élèves pour manifester son refus du nouveau pouvoir en place. Les militaires, après avoir encerclé l’université, y pénètrent et arrêtent toutes les personnes se trouvant à l’intérieur.

Jara est déporté au Stade Chile de Santiago, reconverti en immense prison, où durant plusieurs jours, il apporte soutien et réconfort à ses camarades de détention. Il chante même pour ses codétenus afin de leur redonner courage. Interrogé et torturé, les militaires lui brisent les doigts à coup de crosse, ces mains qui caressaient sa guitare, les voilà saccagées. Mais la barbarie ne fait que commencer, tant pour Jara que pour le peuple Chilien. L’écrivain Miguel Cabezas témoin des dernières heures du chanteur livre un récit devant lequel l’horreur suscite la révolte :

« On amena Victor et on lui ordonna de mettre les mains sur la table. Dans celles de l’officier, une hache apparut. D’un coup sec il coupa les doigts de la main gauche, puis d’un autre coup, ceux de la main droite. On entendit les doigts tomber sur le sol en bois. Le corps de Victor s’écroula lourdement. On entendit le hurlement collectif de 6 000 détenus. L’officier se précipita sur le corps du chanteur-guitariste en criant : « Chante maintenant pour ta putain de mère », et il continua à le rouer de coups. Tout d’un coup Victor essaya péniblement de se lever et comme un somnambule, se dirigea vers les gradins, ses pas mal assurés, et l’on entendit sa voix qui nous interpellait : « On va faire plaisir au commandant ». Levant ses mains dégoulinantes de sang, d’une voix angoissée, il commença à chanter l’hymne de l’Unité populaire, que tout le monde reprit en chœur. C’en était trop pour les militaires ; on tira une rafale et Victor se plia en avant. D’autres rafales se firent entendre, destinées celles-là à ceux qui avaient chanté avec Victor. Il y eut un véritable écroulement de corps, tombant criblés de balles. Les cris des blessés étaient épouvantables. Mais Victor ne les entendait pas. Il était mort ».

Il meurt le 16 septembre, peu de temps avant de fêter ses 41 ans. Son corps, criblé de 34 impacts d’armes automatiques, est retrouvé avec cinq autres personnes à proximité du cimetière métropolitain. Aujourd’hui, l’horreur a cessé et le sang a séché. Le Chili n’en a pourtant toujours pas fini avec ce passé qui ne passe pas. Le Stade « Chile de Santiago », lieu de déportation et siège de tant d’horreurs, d’exactions et de tortures, porte désormais le nom de Victor Jara, chanteur humaniste engagé, citoyen qui jusqu’à l’heure de sa mort fit preuve d’un courage exemplaire, payant de sa vie son idéal de justice pour avoir simplement « El derecho de vivir en paz » (« le droit de vivre en paix »).

Atahualpa Yupanqui

Héctor Roberto Chavero, dit Atahualpa Yupanqui, né à Pergamino dans la région de Buenos Aires, le 31 janvier 1908, était un poète, chanteur et guitariste argentin.

Son pseudonyme, choisi dès l’adolescence, est formé d’Atahualpa, le dernier empereur Inca, assassiné par les conquistadores de Francisco Pizarro, et de Yupanqui, « le Grand Méritant », cacique suprême des indiens quechuas. Son père est d’ascendance quechua, sa mère basque. Dès l’âge de six ans, il apprend à jouer du violon et de la guitare. À la mort de son père, en 1921, il se décide à devenir artiste et pratique divers métier pour gagner sa vie.

Il parcourt alors les grands espaces de son pays, découvrant la réalité misérable où vit le peuple des campagnes, indiens ou métis. Il devient leur porte-parole dans ses premières compositions – Camino del Indio, Nostalgia de Tucumán. En 1928, journaliste à Buenos Aires, il rencontre l’anthropologue Alfred Métraux, avec qui il explore la Bolivie. Sa connaissance intime des êtres, des paysages, des coutumes ancestrales et de l’âme indienne nourrit son inspiration.

Il fait ses débuts en France en 1950, présenté par Édith Piaf au théâtre de l’Athénée, à Paris. Il acquiert une certaine notoriété et il devient l’ami de Louis Aragon, Paul Éluard, Picasso, Rafael Alberti. Il multiplie les tournées en Europe et dans le monde entier.
Comptant à son répertoire plus de 1 500 chansons, selon les formes mélodiques du folklore argentin, il compose des milongas, des chacareras, des vidalas, des zambas, des bagualas, des canciones.

Il est mort le 23 mai 1992 à Nîmes, France. Selon son désir, son corps fut rapatrié dans son pays natal et repose à Cerro Colorado (Córdoba, Argentine).

Mercedes Sosa

Mercedes Sosa est une chanteuse argentine, originaire de San Miguel de Tucumán. Très populaire dans toute l’Amérique latine, elle est appelée « La Negra » (« La Noire ») par ses admirateurs. C’est une immense artiste reconnue et écoutée dans de très nombreux pays. Elle a connu un immense succès non seulement dans son pays, mais dans toute l’Amérique du Sud. Sa voix, reconnaissable entre toutes, a interprété d’innombrables chansons issues du folklore, ou des compositions plus récentes, parfois écrites spécifiquement pour elle. Elle a aussi interprété de façon très émouvante les chansons de la grande artiste chilienne Violeta Parra, et celles d’Atahualpa Yupanqui.

Elle a dû s’exiler à Paris, puis à Madrid, fuyant le régime dictatorial de son pays, après le coup d’État de Jorge Videla. Mercedes Sosa est retournée en Argentine en 1982, quelques mois avant la chute du régime militaire, et organisa un grand concert à l’Opéra de Buenos Aires, avec de nombreux autres artistes. L’enregistrement de ce concert est l’un de ses disques les plus importants. Elle est ambassadrice de bonne volonté pour l’UNESCO (avec Alyssa Milano pour l’UNICEF aux USA) en Amérique latine et aux Caraïbes.

Pablo Neruda

À treize ans déjà, Pablo Neruda publie ses premiers poèmes et textes en prose. À partir de 1921, il étudie la langue et la littérature française à Santiago et la pédagogie. Il choisit son pseudonyme en hommage au poète tchèque Jan Neruda, et veut devenir professeur de français.

A dix-neuf ans, il publie son premier livre « Crepusculario » (« Crépusculaire »). En 1927, Neruda entre au service diplomatique. Il devient consul à Rangoon, Colombo, Batavia, Calcutta, Buenos Aires. À partir de 1935, il est consul en Espagne où il entretient des relations amicales avec Federico García Lorca qu’il avait connu à Buenos Aires et qui aura une influence déterminante sur sa vie et son œuvre. Après le putsch fasciste de Franco du 18 juillet et l’assassinat de García Lorca, Neruda se fait l’avocat de la République espagnole. Il fait des voyages au Mexique, à Cuba et au Pérou. Il visite la forteresse inca de Machu Picchu. En 1945, il est élu au Sénat et devient membre du parti communiste chilien.

En 1946, Neruda dirige la campagne électorale de González Videla qui, après son élection comme président, se révèlera être un dictateur farouchement anticommuniste. Le poète réagit par un discours au sénat portant le célèbre titre d’Émile Zola : J’accuse ! Il peut à peine échapper à son arrestation et se réfugie à l’étranger. Son exil en Europe le conduit en URSS, en Pologne, en Hongrie, en Italie. Il visitera également l’Inde et le Mexique. C’est là que paraîtra en 1950 son Canto General (Chant Général), écrit dans la clandestinité. L’œuvre est immédiatement interdite au Chili.

En 1949, Neruda est devenu membre du Conseil Mondial de la Paix à Paris, en 1955, il obtient, ensemble avec Pablo Picasso, le Prix international de la paix et en 1953, le Prix Staline international pour la paix. Il rencontre la femme de sa vie, Matilde Urrutia qui l’inspire pour des poèmes d’amour d’une fulgurante beauté Cien sonetos de amor (La Centaine d’Amour).

De retour au Chili en 1952, il publie en 1954 les Odes élémentaires. En 1957, il devient président de l’Union des écrivains chiliens, l’année suivante il publie : « Estravagario » (« Vaguedivague »). Cette même année, tout comme en 1964, il soutient pleinement la campagne électorale de Salvador Guillermo Allende Gossens comme candidat à la présidence de la République.

En 1969, le parti communiste le désigne comme candidat aux élections présidentielles, mais Neruda renonce en faveur d’Allende comme candidat unique de l’Unidad Popular. Après l’élection d’Allende, Neruda accepte le poste d’ambassadeur en France.

Le 21 octobre 1971, Pablo Neruda obtient, après Gabriela Mistral en 1945 et Miguel Ángel Asturias en 1967, comme troisième écrivain d’Amérique Latine, le Prix Nobel de littérature. En 1972, il retourne au Chili et est triomphalement accueilli au stade de Santiago. Le Coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili renverse le président élu, Salvador Allende. La maison de Neruda à Santiago est saccagée et ses livres sont jetés au bûcher.

Le poète et homme politique meurt le 23 septembre 1973 d’un cancer du pancréas, à la Clinique Santa Maria de Santiago. Son inhumation devient, malgré une surveillance policière effrayante, une manifestation de protestation contre la terreur militaire. En 1974, l’autobiographie de Neruda Confieso que he vivido (J’avoue que j’ai vécu), paraît à titre posthume.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges (Buenos Aires 24 août 1899 – Genève 14 juin 1986) était un écrivain et poète argentin. Son vrai nom est Jorge Francisco Isidoro Luis Borges Acevedo mais, selon la tradition argentine, il ne l’utilisait jamais en entier. Certains considèrent Borges comme l’un des fondateurs de l’école latino-américaine du réalisme magique. Il est considéré comme l’un des principaux auteurs de fiction sud-américains du XXe siècle. D’autres y voient au contraire un écrivain universel dans lequel peut se reconnaître toute l’humanité. Borges est devenu aveugle assez jeune mais de façon progressive, ce qui eut une forte influence sur ses écrits.

Son travail est profondément érudit, et à l’occasion délibérément trompeur (« Tlön uqbar orbis tertius »). Il traite souvent de la nature de l’infini (La bibliothèque de Babel, Le livre de sable…), de miroirs, de labyrinthes, de la réalité, de l’identité ou encore de l’ubiquité des choses (La loterie de Babylon).

Outre les fictions, son œuvre est abondante et largement appréciée. On y trouve des critiques de films et de livres, de courtes biographies et de plus longues réflexions philosophiques sur des sujets tels que la nature du dialogue, du langage, de la pensée, ainsi que de leurs relations. Il explore aussi empiriquement ou rationnellement nombre des thèmes que l’on trouve dans ses fictions, par exemple l’identité du peuple argentin. Dans des articles tels que L’histoire du Tango et Les traducteurs des Mille et Une Nuits, il écrit avec lucidité sur des éléments qui eurent sûrement une place importante dans sa vie.

Francisco Coloane

Francisco Coloane est un écrivain chilien né le 19 juillet 1910 à Quemchi, Chiloé et décédé le 5 août 2002 à Santiago du Chili. Conteur et nouvelliste, il n’a eu de cesse de raconter la vie australe.

À l’age de neuf ans, il perd son père, ancien chasseur de baleines et capitaine d’un remorqueur. En 1923, il rejoint Punta Arenas à l’extrême sud du pays. Il s’y installe avec sa mère et étudie quelques années au séminaire Ancud. À seize ans, il interrompt ses études à la mort de sa mère. Dès lors, il va connaître de nombreux métiers. Fils d’un capitaine qui voyageait beaucoup, Francisco Coloane navigue à travers les canaux de Chiloé dès les premières années de sa vie. Il grandit à Puerto Montt mais les grandes expériences qui marquent sa vie se déroulent à Punta Arenas et plus précisément dans les grands espaces de la Terre de Feu. Ses romans sont un foyer de connaissances qui évoquent des régions méconnues de la géographie chilienne et bien au-delà ses écrits recréent vraiment la vie simple des êtres humains victorieux mais toujours en proie à la lutte constante mêlant magie, mystère, réalité et légende.

Sa bibliographie, riche, se compose, entre autres, de « Cap Horn » et « Tierra del Fuego » (1994), « Antardida » (1997), « Le Passant du bout du monde » (2000) ou encore son dernier roman « Naufrages » (2002). L’ensemble de son œuvre à été traduite en de nombreuses langues à l’étranger et une partie adaptée au cinéma. « Le passant du monde », comme il se désignait, demeure l’un des plus grands écrivains chiliens du XXe siècle.

Jaime Torres

Le Charango est un instrument que l’on trouve principalement en Bolivie, Pérou, Équateur et au Nord-Ouest de l’Argentine. Mais le « virtuose » de cet instrument est bel et bien un Argentin : Jaime Torres.

Du grand Maître bolivien Mauro Nuñez, Jaime Torres reçut ses premiers cours et son premier charango, et de son père, Eduardo Torres, l’habile ébéniste, les suivants. Il apprit de l’un, l’essence de la musique andine et de l’autre, les techniques les plus élémentaires comme les plus savantes. Son talent d’interprète et sa maîtrise de l’instrument ont fait passer le charango d’instrument d’accompagnement des flûtes andines à un instrument première voix, instrument de soliste.

Avant que Jaime Torres ne le fasse connaître à travers la planète, dans les années 60, le Charango était un instrument folklorique limité à la Bolivie et au Nord de l’Argentine. « On le trouve désormais dans les rues du monde entier, constate ce petit homme aux yeux aussi vifs que sa conversation. Mais je voudrais que ceux qui le jouent, comme ceux qui l’écoutent, n’oublient pas qu’il provient d’un peuple qui s’est longtemps battu pour ne pas disparaître ».

Jaime Torres, né en 1938 en Argentine de parents boliviens, reçoit son premier charango à 5 ans. Il n’en connaîtra pas d’autre pendant dix ans, jusqu’à ce que son père ébéniste en fabrique un à la taille de ses doigts d’adulte. Sa virtuosité à ce jour inégalée vient peut-être de là : il a longtemps joué sur un charango trop petit.

« Quand je joue, je pense à mon père qui a fabriqué mes charangos, je revois ma mère et mes grands-parents qui dansaient. »

S’il y a un sujet sur lequel Torres est intarissable, c’est le Tantanakuy (« rencontre », en quechua), centre culturel qu’il a fondé en 1973 près de Humahuaca, dans la province de Jujuy, pour sauvegarder et transmettre les traditions. « Nous célébrons chaque mois d’août la fête de la Pachamama, la mère-terre nourricière. Nous vénérons aussi le Soleil et la Lune. Quand je vois la mobilisation actuelle contre le réchauffement climatique, je pense que nous, peuples quechuas, avons des années d’avance », confie le virtuose en riant.

Carlos Gardel

Carlos Gardel est le plus grand chanteur de tango de l’histoire, né selon les uns à Toulouse en France le 11 décembre 1890, selon les autres à Tacuarembó, en Uruguay le 11 décembre 1887. Le lieu de naissance de Carlos Gardel fait toujours l’objet d’une vive controverse, alimentée par la fierté patriotique de trois nations.

Selon une première théorie, Gardel serait né en France, à Toulouse, et aurait invoqué la nationalité uruguayenne pour s’éviter des problèmes lors de ses tournées en Europe (sa naissance française le rendait mobilisable durant la Première Guerre mondiale, et donc passible de sanctions pour insoumission lors de ses passages en France).

Selon la théorie opposée, Gardel serait tout simplement né en Uruguay comme le déclaraient ses papiers d’identité. La légende de son ascendance française trouverait seulement son origine dans son testament, falsifié pour permettre à la mère adoptive de l’artiste, la française Berthe Gardès (1865-1943), d’hériter de lui après sa mort brutale et imprévue.

Quoi qu’il en soit, la voix de Carlos Gardel a été déclarée patrimoine de l’Humanité par l’Unesco, qui présente officiellement l’artiste comme un « chanteur argentin né en France ». En Uruguay, de nombreuses voix réclament, en vain jusqu’à ce jour, que des analyses ADN soient effectuées pour trancher définitivement la controverse.

Le lundi 24 juin 1935, Carlos Gardel meurt au sommet de sa gloire près de Medellin en Colombie, dans le crash de l’avion où il avait pris place. Il ne devait pas revoir sa ville de Buenos Aires. L’un de ses grands succès, « Volver » (en français « Le retour »), fut pour lui l’impossible retour, et c’est par bateau, mode de transport qu’il avait toujours préféré, que son corps fut ramené en Argentine. Il est enterré dans le cimetière de la Chacarita à Buenos Aires.