Peut-être ce charme tient-il aux éléments constants de cette nature, à ses pluies fréquentes et capricieuses, à ses bourrasques, à son isolement ou aux légendes léguées par les Mapuches. Ces Indiens qui, par leur histoire, ont la réputation d’être très combatifs. Ils ont même réussi à tenir tête aux conquistadors et ne se sont donc jamais rendus. La résistance mapuche perdure, et, actuellement, environ 400 militants Mapuches sont inculpés et/ou emprisonnés à la suite de leur mobilisation pour sauvegarder des terres ancestrales en but aux grandes compagnies forestières et aux projets de barrages hydroélectriques.
Une seule route goudronnée traverse l’île ; elle parcourt un paysage vallonné et bucolique, avec ses petites fermes entourées de prairies et de jardins colorés. Profitant de la douceur particulière du climat estival, les roses et les hortensias y connaissent une floraison exceptionnelle. Ce cadre idyllique contraste avec celui, âpre et solitaire, qu’offre la côte Ouest, sur l’océan Pacifique. Là-bas, des eaux turbulentes entourent les îlots inaccessibles où vivent manchots et lions de mer.
Les églises traditionnelles en bois, revêtues de tôle ondulée témoignent de la présence des jésuites pendant près de deux siècles (on ne compte pas moins de 150 de ces petits chefs-d’œuvre de boiserie sur l’archipel). La ville de Castro est orgueilleuse de son église, qui est classée, en compagnie de treize autres, sur les listes du patrimoine mondial de l’humanité. Revêtue de rose et de violet, tel un gâteau en pâte d’amandes, elle se dresse au cœur d’une ville animée, dont les maisons traditionnelles, elles aussi en bois et tôle, sont toutes peintes de couleurs vives.
La troisième ville du Chili par son ancienneté est également la capitale historique de Chiloé. Ses quartiers de maisons en bois sur pilotis (“palafitos”) surplombant l’embouchure du Río Gamboa et le fjord sont spectaculaires : de véritables petits bourgs sortis intacts d’un pays merveilleux qui sent bon la mer. A marée haute, le spectacle change : les bateaux abandonnés dansent près des maisons sur pilotis qui se reflètent dans l’eau.
En suivant la côte vers le nord, la lumière intense fait vibrer les couleurs des bateaux de pêche et des maisons sur pilotis, ou des autres habitations aux murs de bardeaux en forme d’écailles. Au fond d’un fjord, le village de Dalcahue baigne dans un silence que seuls les oiseaux marins et le transbordeur qui mène à l’île de Quinchao, dans la mer intérieure, viennent briser. Le dimanche, jour de marché, Dalcahue se réveille avec une animation qui tranche sur le train-train paisible des autres jours : les habitants des petites îles alentours viennent vendre leurs produits et les tissus qu’ils ont confectionnés avec leurs meilleures laines.
A peine a-t-on quitté la côte en empruntant un chemin de terre battue que le paysage devient sauvage. On se perd sur des sentiers dans des forêts où les bambous côtoient les feuilles géantes des Nalcas. La route qui va de Castro à Cucao, sur la côte Ouest, en passant par Chonchi, longe les lacs de Huilinco et de Cucao, et mène au parc national de Chiloé, l’un des sites les plus intéressants de l’île.
Les lacs coupent Chiloé en deux comme des lames d’eau se frayant une brèche à travers les épaisses forêts. L’un est sombre comme le cobalt, l’autre clair comme le cristal. Arrivés au parc, on traverse une réserve forestière qui a conservé intactes sa flore et sa faune. La côte Pacifique est battue par l’océan en furie. A chaque explosion de colère, la mer et ciel se confondent. Le vent violent balaie l’étendue sablonneuse constellée de coquillages blancs.
Dans le lointain, des chevaux montés par des Indiens Mapuches avancent lentement et s’en vont se perdre dans l’horizon infini…
Un autre décor de la Patagonie chilienne