J’avoue que j’ai eu quelques nuits où je ne pouvais trouver le sommeil… Maintenant, comme l’on dit, j’ai pris de la bouteille, et plus grand chose ne m’inquiète vraiment ! Je pense qu’une fois que vous vous êtes conformé à l’économie en Argentine, vous pouvez vous adapter à toutes les situations imaginables !
Le pays des espèces
Pour n’importe quel touriste, voyageur lambda qui débarque en Argentine, en général il ne faut pas attendre très longtemps pour sentir qu’il va vite falloir sortir de ses repères et des habitudes pécuniaires d’un pays dit « normal ».
La face visible de l’iceberg est que vous noterez rapidement que les espèces sont fortement utilisées ici. En effet, bon nombre d’Argentins payent beaucoup de choses avec des billets. Pourquoi cela ? Il y a deux raisons majeurs à mon avis. La première est qu’il a très souvent des réductions en payant en espèce (environ 10%), et en espèce sans facture (environ 20%) ! La deuxième raison est, je pense, du fait que pas mal d’Argentins se faisant payer eux-mêmes en espèce, il faut donc « écouler » ces liquidités.
L’Argentine est tellement synonyme d’argent liquide que les ventes de biens immobiliers ce font également en espèce, le tout devant un notaire qui vous facilitera la machine à billets pour vérifier les sommes plus facilement ! C’est une grosse économie « liquide », dans laquelle tout le monde manie des espèces, car personne ne fait confiance au système bancaire.
C’est tout un plan de l’économie qui échappe quelque part au contrôle de l’État. Les Argentins ont si peu confiance aux personnes qui les gouvernent que je me risquerais à écrire que tricher ici est même devenu un sport national. Car en effet, être honnête et tout déclarer en Argentine n’est pas du tout avantageux, bien au contraire… C’est un pays où les règles sont différentes qu’ailleurs, et même si l’État est structuré, le système a (encore) de grosses faiblesses.
Mais le fisc Argentin, l’AFIP, veille néanmoins et les Argentins en ont une peur bleue. C’est tellement le cas que plus les choses s’achètent ou se concrétisent dans l’anonymat, mieux c’est, alors si l’on peut éviter les factures, c’est tant mieux. Aussi, lorsque vous allez parler un peu avec les Argentins lors d’un séjour en Argentine, vous allez vite entendre certains mots et expressions qui reviennent souvent et qui vont vous paraître un peu « bizarres ». Par exemple : change parallèle, dollar ou euro « blue », cuevas, sepo, inflation, dévaluation, fond monétaire international, dette publique, carte de débit, cuotas, descuento, et j’en passe…
Les Argentins vont tous vous dire que leur pays est formidable, riche, généreux, que l’on y mange très bien, que l’on trouve tous les paysages que l’on peut imaginer, mais que le grand mal de ce pays est l’économie, la politique et les politiciens. Tout Argentin qui se respecte pourra alors vous expliquer comment faire pour rembourser le fond monétaire international (FMI) et pour stopper l’inflation.
Tous les Argentins ont le réflexe de regarder chaque jour le cours du dollar (USD), alors que la monnaie nationale est le peso Argentin (ARS). Tous les Argentins, du boulanger au chef d’entreprise, savent exactement à combien est le dollar par rapport au peso Argentin. En général le cours du dollar monte par rapport au cours du peso, et bien souvent par à-coups.
Il faut aussi savoir que l’économie du pays change perpétuellement, en fonction surtout du parti qui gouverne et des règles mises en place. Suivant les différentes tendances du pouvoir, le cours du peso varie fortement, le change officiel ainsi que le parallèle, et les stratégies économiques doivent donc suivre. Il faut donc toujours anticiper la course folle du dollar face au peso.
Par exemple il arrive que sur quelques jours, le peso argentin se dévaluent fortement et en général les prix ne sont pas mis à jour immédiatement, ce sera donc le moment idéal pour changer des dollars et faire de gros achats. Il faut en fait prendre de vitesse le cours du dollar et l’inflation en général. Le cours peut tellement varier que parfois une simple prise de parole, une nomination d’une personne à un poste de l’État, ou encore une loi mise en place, peuvent avoir des répercussions immédiates sur le taux de change. C’est incroyable mais c’est ainsi, et au moment où l’on a l’impression que le cours du dollar se stabilise, c’est alors qu’il repart de plus belle !
Les Argentins capitalisent souvent en achetant des dollars et en gardant cette précieuse devise sous le matelas ou dans un coffre. Le dernier endroit où les Argentins garderont leurs économies est bien entendu la Banque ! Tout le monde joue à ce petit jeux, chacun à son échelle bien sûr…
Le système bancaire Argentin est pourtant très fluide et pratique. En effet, ouvrir un compte bancaire se fait en 5 minutes, les virements et autres opérations bancaires sont simples à réaliser et tous les commerçants, ou personne physique, peuvent avoir un « postnet » pour encaisser des paiements par cartes de débit ou de crédit. Le problème est la monnaie, le peso Argentin, qui ne vaut pas grand-chose, tellement pas que le change est très mauvais dans les pays limitrophes, car personne n’en veut.
Les différents taux de change et le fameux « Cepo »
L’Argentine se caractérise également par les différents taux de change que l’on trouve, je vais vous citer les plus utilisés. À noter que certains taux de change peuvent voir le jour aussi vite qu’ils peuvent disparaître. Par exemple, le change Qatar qui fut appliqué aux alentours de la coupe du monde de 2022.
Le change officiel est celui que vous verrez sur internet, c’est le change de la banque centrale qui est généralement stable, sauf que de temps en temps il peut subir une grande dévaluation (pouvant être dévalué de 30 à 70% d’un coup !).
Le change Blue, c’est le change dit parallèle, que l’on vous change au marché noir. C’est en fait ce que vaut vraiment le dollar par rapport au peso argentin. Tout le monde se base sur ce taux de change pour savoir vraiment la valeur des choses. Il est officieux mais c’est de ce taux de change que tout le monde parle ou se réfère. C’est un change parallèle mais connu par tous (les médias, les politiciens, les autorités… Etc.).
Il y a toujours un change parallèle mais il peut être égal voire inférieur au change officiel, et il peut valoir également le double ou plus du change officiel.
Le change MEP, c’est le change dit de la bourse. C’est un taux de change qui n’est pas trop utilisé, sauf dans le milieu de l’import/export, car c’est en général ce taux de change qui est pris en charge. Pour vous, en tant que touriste, c’est ce taux qui devrait s’appliquer si vous payez avec une carte bleue internationale. Mais cela peut changer, auparavant s’appliquait le change officiel alors que le change blue valait le double ! (donc bien se renseigner sur la politique du moment avant de payer par carte).
Le change Turista, c’est le taux de change qui s’applique aux Argentins qui utilisent leur carte bleue à l’extérieur. Il correspond en général (mais là aussi ça change tout le temps) au taux officiel plus une taxe de 30% au passage.
Lié à ces taux de change, il y a le fameux « Cepo », un mot bien étrange qui pourtant est au centre de l’économie Argentine. Le Cepo, c’est en fait une sorte de verrou qui empêche les Argentins d’acheter des dollars librement à la banque. Les Argentins sont donc limités, et ces montants varient tout le temps (oui ce serait trop simple sinon), mais en résumé il y a une grosse limitation. Pourquoi allez-vous me demander ? Et bien tout simplement parce que la banque centrale ne dispose pas d’assez de réserve en dollars pour pouvoir répondre à une éventuelle forte demande et légitime des Argentins.
Donc, si un Argentin souhaite acheter beaucoup de dollars, sans être limité, il sera obligé de le faire au marché parallèle, à un taux qui ne sera pas forcément avantageux pour lui. Les Argentins investissent leurs épargnes dans une devise (le dollar) qui est indirectement taxé par un marché parallèle créé par l’État, et qui sera gardé dans des coffres ou sous le matelas, car oui, les Argentins n’ont aucune confiance dans le système bancaire de leur pays. Toutes ces liquidités ne sont pas contrôlées par les caisses de l’État qui représente pourtant tout un pan de l’économie Argentine.
La dévaluation / Inflation
Depuis une soixantaine d’années, en Argentine il y a deux mots qui vont de paire : dévaluation et inflation. Je vous anticipe de suite qu’ici, on y va pas par le dos de la cuillère lorsque l’on parle de ces choses-là…
La monnaie Argentine a, depuis 70 ans, la mauvaise tendance à se dévaluer tout le temps, et en parallèle une inflation galopante, une inflation tellement folle parfois que le prix d’un article pouvait varier entre le moment de le choisir en magasin et le passage en caisse ! En 2022 par exemple, l’inflation a frisé les 95% ! du jamais vu…
Il y a toujours une excuse en Argentine pour justifier l’augmentation des prix. En général c’est parce que la monnaie se dévalue, la cotisation du dollar monte, même si souvent il est difficile de comprendre la relation entre la montée du dollar et celle du prix d’un café ou d’un paquet de pâtes par exemple. Si le dollar est stable, les prix augmentent tout de même parce que le futur est incertain, ou alors parce qu’il y a des élections présidentielles à venir, ou bien parce que le gouverneur d’une province a mis une nouvelle loi en place, et j’en passe…
Souvent les prix grimpent donc pour anticiper un futur incertain, pour palier à quelque chose que personne ne peut imaginer exactement. Moi je pense que l’augmentation des prix est devenu comme quelque chose de normal, comme une habitude, un réflexe qu’ont pris les commerçants par exemple. À ce décor, il faut ajouter de grosses crises financières, des banques qui déposent le bilan, de la corruption à tout-va, des crédits à des taux faramineux, des présidents qui fuient en hélicoptère abandonnant leur pays, et j’en passe…
La machine a billet fabrique des billets, toujours plus car la dévaluation s’accélère. Quand je me suis installé ici, en 2003, un dollar valait environ 3 pesos, aujourd’hui il est à 1 300 pesos au moment où j’écris ces lignes. Le billet de banque le plus élevé était à l’époque de 100 pesos, alors qu’aujourd’hui 100 pesos ce n’est rien, ce n’est même pas la valeur d’un bonbon, et le plus gros billet de banque est celui de 2 000 pesos, soit environ 1,50 euro… Je vous laisse imaginer la taille des liasses de billet si vous êtes amenés à changer 500 euros par exemple !
La dernière chose à faire en Argentine, est de garder trop longtemps des pesos car vous perdez du pouvoir d’achat très très rapidement. C’est pour cela que les Argentins achètent des dollars, ou alors dépensent tout ! Soit dans les bons moments de la vie tel que les voyages, restaurants, sorties, ou alors pour ceux qui le peuvent, acheter une voiture, une moto… tout ce qui est possible et imaginable d’acquérir et qui leur permettra de faire une belle opération le jour où ils revendront.
Car oui, l’Argentine doit être le seul pays au monde où vous allez revendre plus cher une voiture que le prix d’achat, après l’avoir utilisé plusieurs années par exemple ! Mais il faudra voir à la sortie ce que vous pourrez acheter avec les nouvelles valeurs du marché. Donc une voiture, un bateau à moteur, une moto, sont des plaisirs qui se mêlent à des investissements également, et personne ne peut miser dans un futur même proche et les projections à long terme sont impossibles.
Las Cuevas
Enfin il existe ces fameuses « Cuevas » (traduction littérale = « grottes ») ou bien dans un vocabulaire plus élégant des « organismes financiers » qui vous arrangent toujours la vie et vous trouvent des solutions pour tout. À part changer des devises aux changes parallèles (et change officiel pour les non habitués), les Cuevas offrent la possibilité aux Argentins (et aux étrangers) qui ont des économies sur des comptes à l’extérieur du pays, de pouvoir rapatrier cet argent via des comptes tiers, sans apparaître nulle part, sans signer un papier, sans montrer de pièces d’identité, car tout ce réseau fonctionne entre habitués ou par recommandations.
Une transaction complètement anonyme qui se facture environ 3% de la valeur du transfert, ce qui est peu, surtout si l’on ne peut justifier l’origine des fonds, ou si l’on ne veut pas déclarer ces sommes. Et bien entendu, à l’arrivée vous récupérez la somme en espèces ! (en billets dollar ou euros sur demande). Ces transactions sont également faisables dans le sens inverse, de la « Cueva » vers un compte à l’extérieur.
Le tableau est donc bien sombre pour les classes populaires moyennes de l’Argentine, mais, grâce à cette économie, c’est un pays qui permet également à ceux qui osent ou qui ont la « foi »… et quelques moyens, de faire des culbutes financières rapides et très intéressantes. Un investissement immobilier rapportera aussi très souvent bien plus ici qu’ailleurs, car de nombreux loyers seront perçus en espèces. Payer avec des espèces étant courant en Argentine, tout le monde est content, celui qui encaisse bien entendu car rien à déclarer, et celui qui paye car il n’apparaît nulle part…
Ma conclusion sur ce vaste sujet
Analyser l’économie Argentine est un peu le Graal pour un étudiant en haute école d’économie, ou pour n’importe quel économiste chevronné, car il est probablement l’unique pays au monde qui fonctionne de cette manière. D’ailleurs des économistes de renom se succèdent avec des méthodes, des idées et des lignes directrices très différentes, mais force est de constater que le dollar gagne toujours du terrain indéniablement, et à ce jour personne n’a réussi à trouver le remède miracle !!!
Sachant tout cela, on comprend pourquoi les Argentins ont toutes ces facultés qui leur sont propres, de pourvoir s’adapter facilement, de savoir se réinventer, de positiver face à n’importe quel imprévu, de relativiser les choses avec de la bonne humeur et d’avoir beaucoup d’imagination. Ce sont même souvent des personnes activement recherchées par les grandes entreprises pour toutes ces facultés et qualités que les Argentins ont en eux de manière naturelle.
Toute cette facette du pays en tant que touriste, elle ne va pas vous affecter beaucoup, mais c’est important de comprendre comment tout cela fonctionne car cela fait partie de l’ADN des Argentins. Aussi, même si beaucoup d’Argentins se plaignent (pour certains à juste titre), beaucoup voyagent dans le monde entier… Notez par exemple que durant les deux dernières coupes du monde de football, pour rappel en Russie et au Qatar, la première nationalité en nombre à être présente dans les stades était l’Argentine. Et pourtant géographiquement parlant, ces deux coupes du monde se déroulaient très loin de l’Amérique du Sud. D’ailleurs, je pense que beaucoup se rappelleront que durant la fameuse finale de 2022, le stade de foot était quasiment vêtu aux couleurs de l’Argentine.
En Europe, c’est l’opposé d’ici, où tout est fait pour que vous puissiez payer par carte bancaire, rapidement, même pour une simple baguette de pain. D’ailleurs, qui aujourd’hui en France par exemple, a plus de 50 euros dans son portefeuille dans la vie de tous les jours ? En Argentine, c’est l’inverse, on se déplace avec un sac à dos rempli de billets, ou alors avec les fameux sacs plastiques avec des liasses de billets à l’intérieur. En effet, il faut toujours se déplacer avec des espèces pour négocier le meilleur tarif et ne pas rater la bonne affaire.
En outre, Je vous laisse deviner quel est le pays au monde qui a le plus de billets de 500 euros en libre circulation ? En Argentine, il existe encore cette grande liberté, de pouvoir palper les billets, de voir à quoi ressemble tout cet argent liquide et surtout cela laisse la possibilité de ne pas laisser trop de traces et de ne pas vivre complètement contrôlé. En effet, le soit disant progrès du premier monde a conduit tous les citoyens vers une perte totale de liberté d’action et d’anonymat dans leurs choix financiers.
Alors, pour ceux qui auraient envie de s’expatrier en Argentine, si vous êtes joueurs, si vous aimez l’adrénaline, le risque, vivre au jour le jour, sortir du système… et bien ce pays est fait pour vous, vous allez adorer ! Pour les autres, il vaut mieux passer votre chemin car cela peut être très anxiogène…
Prenant en compte tout ce contexte, il est absolument impossible de se projeter à plus de deux mois dans ce pays. Que ce soit économiquement parlant ou bien dans une projection de vie. C’est un monde où il faut vivre « sans filets » et où tout est possible, le meilleur comme le pire.